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Oise : Terre de savoir-faire d'exception

  • Photo du rédacteur: EspritGlobeTrotteuse
    EspritGlobeTrotteuse
  • 4 juil.
  • 21 min de lecture
Oise : Terre de Savoir-faire d'exception

Vous connaissez mon amour pour les métiers d'art. J'ai pu vous en parler dans différents articles. Aussi, quand j'ai appris que proche de Paris, dans les Hauts de France, il existait des passionnés qui avaient à coeur de transmettre ces métiers d'exception, j'ai tout de suite voulu aller à leur rencontre et découvrir ces savoir-faire qui ont fait la renommée de l'Oise. Savez-vous que c'est sur ce territoire qu'on fabriquait les brosses à cheveux et brosses à dents, qu'on travaillait la nacre pour y faire des boutons, jeux de dominos ou éventails, qu'on taillait la pierre pour les plus grande maison ou encore qu'on façonnait avec précision la dentelle noire de Chantilly ?

Ce sont tous ces métiers d'art que je vous propose de découvrir avec moi dans cet article.

Bienvenue dans l'Oise !


Sommaire


Comme il est plus facile de se repérer à l'aide d'une carte, en voici une qui identifie les 4 lieux de visite traités dans cet article.

Carte Oise


Moulin de Saint-Félix : voyage au cœur des brosses


Avant de vous faire la visite des lieux, il faut quand même que je vous raconte de l'histoire de ce moulin. Tout commence au XVIe siècle ...


L'histoire du Moulin de Saint-Felix


Des origines médiévales à l’ère industrielle


Le site de Saint‑Félix est implanté depuis le XVIᵉ siècle sur un moulin à blé, appartenant à l’abbaye Saint‑Lucien de Beauvais (mentionné dès 1533). Transformé en moulin à foulon pour le linge au XVIIIᵉ siècle, il connaît une métamorphose majeure à partir de 1839 : deux industriels achètent les lieux, doublent le barrage, installent trois roues à aubes (dont la majestueuse roue Sagebien/Poncelet de plus de 5 m de diamètre et 36 pales en peuplier) et y implantent des ateliers de scierie et blanchiment d’os.

À partir de 1864, le moulin entre dans l’univers de la brosserie — d’abord sous Mascré pour la tabletterie puis, en 1892, la famille Fleury‑Cossart y introduit la fabrication de brosses à dents en os, sous la marque "Falconia". En 1910, c’est Albert Autin qui reprend l’usine et modernise avec des machines semi‑automatiques, développant la production de brosses en bois, plastique, nylon, à cheveux ou à chaussures. Jusqu’à 130 ouvriers y travaillaient, entre ateliers, ateliers à domicile et négoce à l’export.


Un concentré de patrimoine hydraulique


Le moulin conserve un ensemble rare d’équipements du XIXᵉ siècle : trois roues hydrauliques dont l’une avec régulateur à boules de Watt pour maîtriser la vitesse de rotation. Un système d’engrenages, poulies et courroies transmet l’énergie hydraulique aux machines de production et, dès 1930, un alternateur alimente l’éclairage (110 V continu puis 380 V alternatif avec compteur EDF en 1986)

En 1979, la brosserie Autin ferme ses portes, victime de la concurrence du plastique. Le site tombe en désuétude jusqu’à ce que M. et Mme Audemar achètent les lieux, restaurent le barrage, conservent les machines en état et, en 1991, font classer le site monument historique.


Naissance d’un musée vivant


En 1994, l’Écomusée des pays de l’Oise et l’association Les Amis du Moulin de Saint‑Félix transforment l’ancienne usine en Musée de la Brosserie. Les bénévoles remettent en mouvement les roues à aubes, restaurent le régulateur à boules et font revivre l’atelier.

Les visiteurs y découvrent le processus de fabrication : découpe, perçage, polissage, montage, le tout dans un atelier préservé au patrimoine industriel intact. On y retrouve également l’exposition de brosses créées localement ou distribuées par la région (Marques Falconia, Docteur Grange...).

Maquette Musée de la Brosserie

Un héritage industriel et écologique


Le site est classé monument historique (tous les ateliers, roues, régulateur, barrage, vannage) depuis 1990. Le moulin est aujourd’hui un espace culturel et pédagogique : conférences, ateliers pour enfants, classes d’eau, ou encore espaces de travail artistique dans les anciens ateliers.

Un bras de contournement du barrage a été aménagé pour restaurer la continuité écologique du Thérain — une première entre Beauvais et Montataire.


Visite sensorielle du Musée de la Brosserie


Il suffit de franchir le vieux porche en bois du Moulin de Saint-Félix pour sentir le monde moderne s'effacer. L'air devient plus humide, la lumière se tamise, et le doux grondement de l’eau qui file sous les roues à aubes vous enveloppe. Le moulin vit encore, à sa manière. Nous sommes dans l’Oise, au bord du Thérain, et pourtant, tout ici nous ramène un siècle en arrière.


Une odeur de bois et de sueur


Dès l’entrée dans l’atelier de tabletterie, une odeur de bois ciré et de vieille huile de machine vous emplit les narines. L’atelier est silencieux, mais pas figé. Sur les établis, des copeaux de hêtre et de buis, autrefois destinés à devenir des manches de brosses, dorment encore sous une fine poussière. On s’attendrait presque à voir un ouvrier sortir de sa pause, torchon à l’épaule, pour reprendre son ouvrage.

La lumière rase les outils suspendus, éclats de métal dans la pénombre. Ici, on sciait, on rabotait, on perçait les manches. Le bois chantait sous les lames, et les mains allaient vite, expertes, dans un ballet précis et quotidien.


Polir, brosser, frotter


La salle suivante est plus bruyante. Les polisseuses. Les brosses, encore rêches, sont mises à tourner contre des disques de coton ou de cuir pour être adoucies, arrondies, lissées. Le sol est taché, les murs aussi. On sent la poussière en suspension, elle gratte la gorge. Mais quelle vie ! Quelle énergie dans ce chaos organisé.

C’est ici que naissait le "produit fini". Une brosse à dents en os. Une brosse à cheveux pour élégante parisienne. Une brosse à reluire pour les bottes des militaires. Il y en avait pour tout le monde, dans toutes les maisons, et ce petit moulin en sortait des milliers chaque semaine.


Les poils prennent vie


Un peu plus loin, les anciennes machines à garnir sont encore là. Certaines ont la forme étrange de gros insectes d’acier. Le guide appuie sur un bouton, un moteur ronronne… puis une succession de petits "tchac-tchac-tchac" se met à retentir.

Sous nos yeux, des poils — parfois de soie naturelle, parfois de crin, parfois de plastique — sont insérés un à un, en rythme, dans les trous pré-percés des manches. L’odeur a changé ici : plus métallique, plus sèche. Un parfum de matière vivante, à demi domestiquée. On imagine les gestes sûrs de l’ouvrière, penchée des heures durant, les mains noircies, les yeux rivés sur la précision du montage.


Des vitrines pour mémoire


À la fin de la visite, dans une salle calme, presque muséale, des vitrines exposent fièrement les brosses d’autrefois : la fameuse "Falconia", les créations griffées "Autin", ou encore des brosses à ongles colorées des années 50. Une sorte de collection intime du quotidien français.

Certaines sont usées. D’autres flambant neuves. Mais toutes racontent quelque chose de nous, de nos gestes, de notre histoire domestique. Un passé tangible, humble, mais profondément humain.


La poussière du temps


En sortant du moulin, le vent ramène une bouffée d’air frais. Le silence vous surprend après le tumulte mécanique de l’atelier. Un peu de sciure reste accrochée à vos chaussures. Vous réalisez alors que vous venez de vivre une immersion rare : celle d’un lieu qui ne se contente pas d’exposer, mais qui respire encore.

Le Moulin-Musée de la Brosserie de Saint-Félix, ce n’est pas un musée comme les autres. C’est un espace qui travaille la mémoire. Où la main de l’homme, la roue de l’eau et le poil de la brosse se croisent dans un mouvement perpétuel. Et on repart avec, au fond de soi, cette étrange sensation d’avoir frôlé quelque chose de très ancien, et pourtant terriblement vivant.


Informations pratiques


  • Période d'ouverture: 1er avril – 31 octobre, dimanches 1ᵉʳ et 3ᵉ, 15h & 16h. Fermeture en août pour travaux.

  • Tarifs: 7 € (adulte), 3 € (6‑16 ans), 6 € en groupe ≥ 15.

  • Accès: stationnement gratuit, boutique, salon de thé, animations sur place



Chantilly : l’élégance de la dentelle noire


Un peu d'histoire avant de commencer ...


Elle est noire, délicate, soyeuse, mystérieuse. Elle évoque les ombrelles des élégantes, les éventails des dames, les dessous chics des grands soirs… La dentelle de Chantilly est une étoffe qui murmure à l’oreille des couturiers depuis le XVIIIe siècle. Mais derrière sa beauté aérienne se cache une histoire faite de gloire, de rivalités, de renaissances… et d’un savoir-faire unique au monde.


Aux origines : Chantilly, ville du raffinement


C’est dans l’ombre des grandes écuries et des jardins du château que naît, au XVIIIe siècle, une dentelle d’un raffinement extrême. Dès 1740, les dentellières de Chantilly - mais aussi de Caen et de Bayeux - tissent à la main un textile de luxe destiné à la cour et à l’aristocratie.

À l’époque, la dentelle de Chantilly est blanche ou crème, conçue à l’aiguille ou au fuseau, souvent en soie. Son point signature ? Une grande finesse, des motifs floraux ciselés, et surtout, une symétrie parfaite grâce à la technique du "fond clair" - un réseau régulier sur lequel les motifs semblent flotter comme des ombres chinoises.

Dentelle claire de Chantilly

L’éclosion de la dentelle noire


Mais c’est au début du XIXe siècle, sous le Premier Empire puis la Restauration, que la dentelle noire de Chantilly devient un phénomène.

Pourquoi noire ? Car le noir devient la couleur de l’élégance et du deuil - deux piliers de l’esthétique romantique. Napoléon III et son épouse, l’impératrice Eugénie, en raffolent. Elle la porte sur ses robes, ses châles, ses mantilles. La mode s’emballe : la dentelle noire devient symbole de mystère, de raffinement, de sensualité discrète.

Contrairement aux dentelles blanches souvent brodées, la dentelle noire joue sur la transparence, l’ombre et la lumière. Elle est légère, souple, presque liquide. Teinte à la main avec des bains de couleur végétale, elle résiste mal à l’humidité… mais sa beauté compense sa fragilité.


La révolution mécanique et la concurrence


L’âge d’or de la dentelle à la main s’effondre brutalement au milieu du XIXe siècle avec l’arrivée des métiers mécaniques, notamment à Calais et à Nottingham (Angleterre). En quelques années, la dentelle mécanique inonde le marché : moins chère, plus rapide à produire, plus accessible. Le chic devient démocratique.

La dentelle de Chantilly, artisanale, souffre. Malgré ses qualités incomparables (une transparence et une finesse que la machine peine à reproduire), la concurrence est rude. La Première Guerre mondiale, puis la disparition progressive des dentellières expertes, finissent par mettre à mal cet artisanat d’exception.

Dans les années 1930, la production artisanale de dentelle noire de Chantilly est quasiment à l’arrêt.

Robe dentelle noire

Une renaissance par la haute couture


Mais comme souvent avec les savoir-faire oubliés, la mode revient au passé pour s’inspirer.

Dans les années 1980, la haute couture redécouvre la dentelle noire de Chantilly, fascinée par son romantisme noir et ses motifs ciselés. Chanel, Dior, Valentino, Elie Saab, Givenchy… Les grandes maisons l’utilisent pour souligner une encolure, composer un dos nu, ourler un corsage, ou rehausser une robe de mariée.

Elle devient un matériau signature pour les robes du soir, les dessous chics, les pièces de défilés. Elle évoque tout à la fois le mystère, la noblesse, le souvenir et l’érotisme subtil. Sur les tapis rouges, elle habille les stars en quête de sophistication et de légèreté.


Aujourd’hui : tradition et transmission


Il reste aujourd’hui très peu d’ateliers capables de produire une véritable dentelle de Chantilly artisanale. Certaines manufactures à Caudry (Nord) perpétuent cette tradition, parfois avec des métiers Leavers — des machines mécaniques anciennes qui permettent une finesse exceptionnelle.

L'École des Métiers d’Art, les musées textiles et quelques passionnés œuvrent à la préservation de ce savoir-faire inscrit à l’inventaire du patrimoine immatériel. À Chantilly même, des expositions rendent régulièrement hommage à cette étoffe légendaire, souvent en lien avec la mode contemporaine.


Un fil entre l’ombre et la lumière


La dentelle de Chantilly noire est bien plus qu’un tissu. C’est une dentelle de regard, disait un poète. Elle habille tout en dévoilant, elle cache sans dissimuler, elle sublime sans prétention. Elle traverse les époques, portée par la main de femmes patientes, la vision de couturiers audacieux et la mémoire collective d’un luxe à la française.

Aujourd’hui encore, un simple carré de dentelle de Chantilly peut raconter des siècles d’élégance. Et dans le silence d’un atelier, au cliquetis d’un fuseau, ce fil noir tisse toujours le mystère de la beauté.

Boléro dentelle noire

La dentelle noire de Chantilly : secrets de fabrication d’un chef-d’œuvre au fuseau


Fine, aérienne, mystérieuse… la dentelle noire de Chantilly est un joyau du patrimoine textile français. Derrière sa légèreté presque irréelle se cache un travail minutieux, long, rigoureux, où chaque étape demande une parfaite maîtrise du geste. Car oui, la dentelle noire de Chantilly ne se brode pas au hasard : elle se dessine, se construit, s’ajoure, fil après fil, fuseau après fuseau.

Plongeons dans les ateliers silencieux — ou plutôt les maisons de ces ouvrières de l’ombre — pour découvrir les coulisses d’un savoir-faire exceptionnel.


Le dessin : quand la dentelle prend forme sur le papier


Tout commence par le dessin du motif. C’est une œuvre d’art à part entière. Sur une large feuille quadrillée, l’artiste trace à l’encre les arabesques, fleurs, rinceaux et feuillages qui donneront son style à la dentelle.

Ce dessin n’est pas décoratif : il est technique, précis, calibré pour le travail au fuseau. On y distingue :

  • les pleins (motifs opaques),

  • les vides (fonds),

  • les points de fixation (croisements, raccords),

  • les bordures (franges, festons, coquilles…).

Chaque trait, chaque point, est pensé pour guider la dentellière dans sa partition.

Robe et patron

Le carton-patron : une carte de navigation


Le dessin est ensuite transféré sur un carton rigide, appelé patron, qui servira de guide sur le coussin de la dentellière. Ce carton est pré-percé à la main : des centaines, parfois des milliers de minuscules trous y sont faits, chacun correspondant à un point de croisement des fils.

Ces perforations servent à y insérer de minuscules épingles, autour desquelles les fils seront tissés à l’aide des fuseaux. Le patron est en quelque sorte la partition d’un orchestre textile, que la dentellière va "interpréter" avec ses mains.

Patron Carton

La mise en patron et la préparation à domicile


Une fois le patron perforé, il est découpé et envoyé, avec le fil de soie noire et parfois même le carreau (le coussin de travail), directement chez la dentellière, car le travail se faisait à domicile.

Les ouvrières recevaient ainsi tout le nécessaire pour réaliser une bande de dentelle précise, avec un modèle imposé. À cette époque, la production de dentelle était organisée en réseau décentralisé, presque comme une chaîne invisible à travers les villages autour de Chantilly, mais aussi dans l’Oise, à Caen ou à Bayeux.

La dentelle de Chantilly se travaille au fuseau, c’est-à-dire avec des bobines de bois finement tournées que l’on fait danser sur un coussin bombé.

Le patron est fixé sur un carreau, une sorte de coussin rigide, lui-même posé sur un support inclinable. Les fuseaux pendent de part et d’autre, prêts à s’entrelacer.

Coussin aiguilles

La broderie au fuseau : le ballet silencieux des mains


C’est ici que le savoir-faire entre en scène.

Dans le calme de leur foyer, souvent à la lumière du jour ou d’une lampe à huile, les dentellières s’installaient pour entrelacer leurs dizaines de fuseaux. Certaines pièces demandaient plus de 300 fuseaux.

À l’aide de ses fuseaux et d’épingles plantées dans les trous du carton, la dentellière croise, tord, tourne, fixe les fils dans un mouvement constant. Le geste est lent, régulier, presque hypnotique. Chaque mouvement a un nom :

  • "croiser-torsion" pour former les mailles du fond,

  • "point de Paris" pour le filet léger,

  • "toile" pour les motifs pleins,

  • "mat", plus serré, pour les effets de relief.

La dentelle noire de Chantilly est réputée pour la richesse de son décor tout en conservant une extrême légèreté. Pour cela, le fond est généralement très aéré (souvent en fond simple ou fond chant) et les motifs sont reliés non pas par des brides, mais par de petits ponts de gaze - presque invisibles.

Leur dextérité des dentellières était telle qu’elles avançaient à une cadence impressionnante… pour un œil non averti. Mais en réalité, le travail était extrêmement lent :

  • En moyenne, une dentellière réalisait 1 à 2 centimètres de dentelle par jour, selon la complexité du motif.

  • Soit moins de 15 centimètres par semaine pour un ouvrage dense en détails.

Chaque fuseau, chaque torsion, chaque épingle était un pas de danse lent dans une partition répétée des milliers de fois.

Brodeuse en action

Une organisation rigoureuse et anonyme


À la fin de son ouvrage, la dentellière ne signait pas son travail. Un intermédiaire - parfois un collecteur local ou un contremaître d’atelier - passait à domicile récupérer la pièce terminée et confiait une nouvelle commande.

Les longueurs étaient ensuite acheminées vers les ateliers d’assemblage, où elles étaient raccordées entre elles à la main par des brodeuses expertes, grâce au fameux point de raccroc, presque invisible à l’œil nu, même sous une lumière rasante.

Chaque bande était donc réalisée par une dentellière différente, mais l’ensemble devait former une dentelle parfaitement homogène, comme si elle avait été tissée d’un seul tenant. Cela demandait une discipline collective et une rigueur d’exécution sans faille.

Chale

L’assemblage et les finitions


Les bandes assemblées donnaient alors naissance à des voiles, des châles pouvant mesurer jusqu’à 2,5 mètres, des robes, manches, cols, ou éventails.

Une fois la dentelle terminée, vient le temps des finitions :

  • elle est parfois teinte dans un bain de noir profond (à l’époque avec des teintures végétales à base de gaïac ou de campêche),

  • elle est lavée, pressée à la vapeur, amidonnée puis étirée pour retrouver sa forme parfaite,

  • elle peut être montée sur une structure (ventail, robe, voile…).

Le résultat ? Une dentelle aérienne, fluide, qui épouse les formes sans jamais les alourdir. C’est cette souplesse et cette sensualité du fil noir qui a tant séduit la haute couture, hier comme aujourd’hui.

Ombrelle

Un art lent, silencieux et féminin


Travailler la dentelle noire de Chantilly au fuseau, c’était vivre au rythme du fil, dans une concentration extrême, souvent dans des conditions précaires. Les dentellières travaillaient seules, parfois dès l’âge de 10 ou 12 ans, et contribuaient à faire vivre leur foyer. Elles faisaient partie de ces invisibles de la beauté, dont la patience nourrissait l’élégance de l’élite.


Aujourd’hui, un savoir-faire rare et précieux


De nos jours, quelques passionnées et écoles perpétuent encore cet art à la main. Si les métiers Leavers de Calais-Caudry ont pris le relais pour la dentelle mécanique, la dentelle au fuseau de Chantilly, entièrement faite main, reste un luxe absolu, réservé à la haute couture ou à des pièces patrimoniales.

Elle est, plus que jamais, un témoignage de l’élégance née de la lenteur, de la beauté tissée dans le silence des maisons, un fil noir tiré à travers les siècles.

Dentelle de Chantilly : motif floral

Informations pratiques


Pour découvrir tous les secrets de la dentelle noire, dite "La Chantilly", je vous invite vivement à vous rendre au Musée de la dentelle à Chantilly.

Le musée propose une collection permanente qui s’étend sur trois salles élégamment aménagées dans un décor du XIXᵉ : on découvre châles, éventails, robes, carreaux, cartons et fuseaux, retraçant le processus artisanal de la dentelle noire de Chantilly. L’exposition actuelle, « Âmes de dentelle » de Christine Mathieu (du 26 avril au 31 août 2025), met en dialogue œuvre contemporaine et dentelles historiques, avec visites guidées programmées.

Le musée propose aussi des visites commentées, ateliers, apéros-dentelle et démonstrations conjointes d’artisans (dentellières, tourneurs de fuseaux…), dans une démarche vivante et pédagogique.

  • Période d'ouverture : du vendredi au dimanche de 14h à 18h (fermé entre le 23 décembre et le 9 janvier)

  • Tarif : 5 € en plein tarif (tarif réduit : 3 €, gratuit pour les moins de 18 ans et les Cantiliens accompagnés). Réservations possibles pour les groupes via l’Office de tourisme ou le musée.

  • Accès :  34 rue d’Aumale à Chantilly



Maison de la Pierre de Saint-Maximin : dans les entrailles de la Terre


A la découverte des carrières de pierre


Dès qu’on franchit le portail de la Maison de la Pierre, à Saint-Maximin dans l’Oise, une sensation étrange nous gagne. Comme si l’on entrait dans un autre monde - un monde souterrain, sculpté par le travail des hommes et le souffle de la terre.

Ce n’est pas un simple musée, c’est une expérience vivante, qui commence sous nos pieds et nous mène au cœur des carrières oubliées ; c'est une plongée fascinante dans l'histoire et les usages d'une pierre emblématique de la région : la pierre calcaire de Saint-Maximin. Une matière noble, douce au toucher, qui a bâti Paris, modelé des cathédrales, des palais et des façades ... et parfois, nourri des champignons.

Fossile Pierre Saint-Maximin

Descendre dans les entrailles de la terre


La visite commence sous terre, dans l’ombre fraîche et humide. Munis d'un casque de chantier et d'une lampe torche, nous pénétrons dans l'antre. Un silence nous enveloppe. Peu à peu, l’odeur de poussière minérale nous entoure, mêlée à une humidité douce. Autour de nous, des galeries s’ouvrent, taillées à même la roche. Nous voilà dans une ancienne carrière souterraine, creusée à la main, bloc après bloc.

Ici, l’extraction se faisait à la force des bras, à la scie ou au pic, dans une obscurité partielle, rythmé par l’écho des outils. La lumière rasante des lampes éclaire les stries laissées par les outils, les numéros gravés à la hâte, les traces des passages. On imagine les halètements, la poussière en suspension, le cliquetis du métal sur la roche. On imagine les hommes penchés dans la pénombre, le corps tendu, les bras lourds de fatigue, taillant sans relâche pour extraire ces blocs clairs et massifs qui iront bâtir le Louvre, Versailles ou les immeubles haussmanniens. L’air est dense, chargé d’histoire.


Une pierre au destin royal


La pierre de Saint-Maximin est partout à Paris, même si on l’ignore : à la Place Vendôme, dans les façades haussmanniennes, au Louvre, à l’Opéra Garnier, mais aussi à Versailles ou à la cathédrale de Senlis. Elle est tendre sous la main, presque douce, légèrement tiède. Facile à sculpter mais solide à l’épreuve du temps, de couleur claire et lumineuse, elle a été prisée dès l’Antiquité pour élever les symboles du pouvoir, et plus encore au XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, lorsque Paris s’est massivement reconstruit.

Pour répondre à la demande, la région s’est couverte de carrières à ciel ouvert - de vastes excavations visibles encore aujourd’hui dans le paysage. Ces carrières, souvent invisibles depuis la route, sont parfois aussi profondes qu’un immeuble de cinq étages. Mais celles que nous arpentons ici sont souterraines, creusées en profondeur, souvent transformées au fil du temps…

taille arcades

De la pierre aux champignons


Avec le déclin progressif de l’extraction manuelle au XXᵉ siècle, les pics se sont tus, les carrières ont cessé de fournir les pierres des villes, mais elles n’ont pas été oubliées pour autant. Certaines sont devenues champignonnières. On devine pourquoi : température constante, obscurité, humidité parfaite. On imagine les alignements de champignons de Paris ou pleurotes poussant lentement dans les galeries, là où résonnaient jadis les pas des carriers.

champignonnière

D’autres carrières ont changé de vocation encore : lieux de stockage, caves à vin, salles de concert, ateliers, lieux de tournage, ou même en refuges pendant la guerre… Aujourd’hui, certaines servent encore à l’enseignement de la taille de pierre, comme c’est le cas à la Maison de la Pierre. La pierre, ici, ne cesse jamais de raconter.

Refuge guerre

Atelier taille de pierre


J'aime particulièrement les visites où l'on peut s'essayer à un artisanat. Je trouve que cela rend la théorie plus concrète et on se projette ainsi plus facilement dans les métiers que l'on découvre. Alors cette fois-ci, ...

taille coquillage

Et si on devenait tailleur de pierre ?


Remontés à la surface, la visite ne s’arrête pas là. Autour d’un atelier en plein air, des blocs de pierre attendent. Cette fois, c’est à nous de jouer.

On enfile un tablier, on prend en main un ciseau, une pointerolle, une massette. On sent la vibration du métal sur la roche, le choc sourd du geste. Au début, le bruit nous surprend. Puis on entre dans le rythme. Le geste devient plus sûr. La poussière blanche s’accroche à nos bras, nos manches, notre nez. On comprend ce que veut dire sculpter la matière.

Petit à petit, sous nos mains, une fleur, une lettre, une rosace se dessine. Chacun repartira avec sa propre œuvre, façonnée comme autrefois, à la force du poignet, dans la lenteur et la concentration.

résultat atelier taille de pierre

Informations pratiques


  • Période d'ouverture : Visite de la carrière et atelier sculpture, sur réservation, selon les saisons

  • Tarifs : de 6 à 10 € / Ateliers en supplément (avec pièce à emporter)

  • Accès : Maison de la Pierre, 22 rue Jean Jaurès, 60740 Saint-Maximin



Méru : capitale oubliée du bouton de nacre


Dans le creux d’un coquillage venu de l’autre bout du monde, une lumière douce. Un miroitement nacré, fragile et précieux. À Méru, au sud de l’Oise, cette lueur a fait vivre des générations entières, a rythmé les saisons, a usé les mains des femmes, des hommes, des enfants.

Méru, ce n’est pas qu’une petite ville picarde. C’est l’ancienne capitale mondiale du bouton de nacre, cœur battant d’une industrie artisanale aujourd’hui disparue, mais encore bien vivante dans les mémoires… et dans un musée unique en France.


Retour sur cette industrie florissante


La nacre, une histoire venue des mers


Tout commence avec la coquille. Venue d’Australie, de Polynésie, des Philippines ou du golfe de Californie, elle traverse les océans en caisses entières pour venir échouer… dans l’Oise. À l’intérieur, une matière précieuse : la nacre, cette couche intérieure, brillante et résistante, qui une fois travaillée, devient bijou ou bouton.

Depuis le milieu du XIXᵉ siècle, la région de Méru est devenue un haut lieu de la tabletterie, un artisanat de précision où l’on façonne des objets de luxe à partir de matières naturelles : os, ivoire, corne, écaille, bois rares… et surtout nacre.

À l’époque, l’élégance tient à peu de choses. Et ce « peu » se nomme boutons, éventails, épingles à chapeau, manches de parapluies ou d’ombrelles, jeux de dominos, et autres accessoires raffinés que les dames arborent avec soin.

nacre

Une industrie à domicile, familiale et silencieuse


À Méru et dans les villages alentours, l’industrie de la nacre s’organise à l’échelle des familles. Tout le monde travaille : les hommes dans les ateliers, les femmes et les enfants à la maison. La production est morcelée, chaque geste est un savoir transmis.

Dans la cuisine ou le cellier, on découpe les pastilles, on perce, on lime, on trie les pièces selon leur qualité, leur diamètre. La poussière blanche s’accroche partout, les doigts deviennent rêches, les ongles fragiles. On travaille parfois 12 heures par jour, souvent à la tâche, payé au bouton.

Chaque famille ne réalise qu’une étape : découpe des pastilles, perçage, polissage, ajustement. Les outils sont rudimentaires mais les gestes sont sûrs. Les coquilles, bruyamment découpées sur des scies circulaires, dégagent une odeur salée, mêlée à celle du bois mouillé. Et puis, cette poussière de nacre, fine comme du talc, envahit les narines, les poumons. le geste est sûr, précis, minutieux. Le savoir-faire passe de main en main, sans jamais s’écrire.


L’art méconnu du domino de luxe


Si Méru est célèbre pour ses boutons, les jeux de dominos produits ici étaient tout aussi réputés. Ces pièces de luxe, souvent destinées à l’aristocratie ou à la grande bourgeoisie, demandaient un travail d’orfèvre.

Chaque domino est une fine plaquette de bois ou d’ébène, sur laquelle on incruste avec précision une lamelle d'os, de nacre ou d’ivoire. Les points noirs, eux, sont peints à la main. L’assemblage exige une régularité parfaite, un alignement au dixième de millimètre. On imagine les yeux plissés, les gestes lents, le frottement doux du papier émeri sur la surface nacrée.

La fabrication complète d’un jeu pouvait prendre plusieurs jours, mobilisant plusieurs membres d’une même famille. C’est un artisanat d’équipe, presque invisible mais infiniment précieux.


L’apogée d’un savoir-faire mondial


À la fin du XIXᵉ siècle, la région exporte dans le monde entier. Les objets de nacre de Méru s’arrachent jusqu’en Russie, aux États-Unis ou en Amérique du Sud. On recense près de 300 ateliers dans la région, et plus de 10 000 personnes vivent de cet artisanat. C’est l’époque des grands patrons tablettiers, des concours d’ouvriers, des expositions universelles où la nacre de Méru est primée pour sa finesse et son éclat.

Mais la modernité guette.


Le lent déclin de la nacre


Avec le XXᵉ siècle vient la vulgarisation des matériaux. La bakélite, puis le plastique, révolutionnent l’industrie de la mode dans les années 1920-1930. Moins chers, plus faciles à produire en série, ils relèguent la nacre au rang de luxe dépassé.

Petit à petit, les ateliers ferment. Les dernières commandes se raréfient. Le travail à domicile s’arrête, les gestes s’oublient.

Le dernier grand jeu de dominos en nacre est peut-être rangé dans une boîte d’un collectionneur. Méru, jadis éclatante, devient une ville discrète, aux souvenirs nacrés.

bouton bakélite

Conserver la mémoire de l'industrie de la nacre


Le musée du souvenir vivant


Heureusement, la mémoire ne disparaît pas. Depuis 1999, le Musée de la Nacre et de la Tabletterie, installé dans une ancienne manufacture à Méru, fait revivre cet artisanat exceptionnel. On y entend les machines d’époque, on y touche les coquilles venues de loin, on y voit les boutons scintiller dans leurs boîtes anciennes.

Des artisans y perpétuent les gestes d’autrefois, devant les visiteurs ébahis. On comprend alors l’ingéniosité, la patience, la beauté d’un art méconnu.


Le parcours découverte du musée


La visite se fait en autonomie ou guidée, dans un cadre authentique, au cœur même de l’ancienne usine de nacre. Le parcours muséographique est organisé en plusieurs étapes immersives :

  • La matière première : On découvre les coquillages utilisés (ormeau, huître perlière, trochus…), leur provenance lointaine et leurs propriétés, avec des collections impressionnantes de coquilles exotiques.

  • Les outils et les machines : Dans les anciennes salles de production, les machines d’époque tournent encore : scies, tours, meules. Les démonstrations sont spectaculaires : on voit la nacre découpée, façonnée, polie sous nos yeux.

  • Le bouton : De la découpe à l’emballage, tout le processus de fabrication est retracé. On comprend pourquoi chaque bouton passait entre une dizaine de mains avant de rejoindre un vêtement.

  • Le domino : Une salle entière est consacrée à la confection de ces jeux de prestige, où bois précieux et nacre s’unissent avec finesse. On y voit les gabarits, les poinçons, les techniques d’incrustation.

  • Les objets de luxe : Eventails, broches, peignes, manches de parapluies... Des pièces rares sont exposées dans de belles vitrines, reflet du raffinement de la belle époque.

  • Ateliers et animations : Le musée propose aussi des ateliers de fabrication pour petits et grands, pour apprendre à manipuler la nacre et créer un petit objet à emporter.


Une histoire sociale et sensorielle


Ce n’est pas seulement une histoire d’objets, mais une histoire d’humanité. Celle des femmes penchées sur leur établi. Des enfants qui percent des boutons au retour de l’école. Des hommes qui font rugir les meules dans le froid du matin.

C’est l’histoire d’un éclat venu des mers, qui a illuminé les maisons de l’Oise pendant plus d’un siècle, avant de sombrer dans le silence.


Informations pratiques


  • Période d'ouverture : du mardi au dimanche, de 14h00 à 18h00 (dernière entrée à 17h)

  • Tarifs : 6 € (plein), 3 € (réduit), gratuit pour les – de 6 ans

  • Accès : Musée de la Nacre et de la Tabletterie, 51 rue Roger Salengro, 60110 Méru



Mon avis sur la découverte des savoir-faire de l'Oise


Quand on part découvrir une région, on s'intéresse principalement à son patrimoine bâti, naturel et culturel mais on en oublie souvent de découvrir son patrimoine industriel. Or aujourd'hui, de nombreux savoir-faire, métiers d'art ont quasi disparu. Il est pourtant important de perpétrer cette mémoire des gestes anciens, de ces techniques acquises et maîtrisées à la perfection qui ont fait la renommée de certaines marques, régions.

Grâce à l'implication de bénévoles et/ou passionnés, nous avons la chance de découvrir ou redécouvrir les gestes de nos anciens. A l'heure où les robots et machines exécutent les gestes à notre place, souvenons-nous de cette époque où des familles entières travaillaient dur pour vivre mais aussi par amour d'un travail bien fait.

Vous l'aurez compris, j'ai pris énormément de plaisir à découvrir ces métiers d'art qui ont fait la renommée de l'Oise et je vais poursuivre ma quête de savoir-faire pour continuer à faire vivre ces beaux métiers de nos grands-parents.



Vos retours sur cet article



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2 commentaires


Maeva
04 juil.

Magnifique ces ouvrages tellement fins et l’article qui donne envie d’y aller

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EspritGlobeTrotteuse
EspritGlobeTrotteuse
15 juil.
En réponse à

Merci beaucoup Maeva. On a la chance d'avoir des savoir-faire d'exception en France et dans nos régions. Quel travail d'orfèvre ! Je te recommande vivement de faire ces visites.

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À propos d'EspritGlobeTrotteuse

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Passionnée de voyages depuis toujours, c'est en 2005 que j'ai commencé les vols longs courriers et depuis j'ai à cœur de tout découvrir.

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